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Morts de la rue : 659 décédés en 2019, un chiffre alarmant

Source : https://www.lavie.fr/actualite/solidarite/morts-de-la-rue-659-decedes-en-2019-un-chiffre-alarmant-68632.php

Par Laurent Grzybowski

Publié le 16/11/2020

Le Collectif des morts de la rue a publié le 5 novembre son rapport annuel sur la mortalité des SDF. L’occasion d’émettre quelques recommandations pour mieux lutter contre l’exclusion, alors que le nombre des sans-domicile, 300 000, a explosé.

Faire savoir que vivre à la rue mène à une mort prématurée, dénoncer les causes souvent violentes de ces morts, veiller à la dignité des funérailles et accompagner les proches en deuil, tels sont les objectifs du Collectif les morts de la rue (CMDR). Cette structure rassemble une cinquantaine d’acteurs associatifs locaux ou nationaux œuvrant auprès des plus pauvres. Elle effectue depuis des années un travail de terrain minutieux pour recenser sur l’ensemble du territoire français les décès de personnes sans domicile fixe.

Des décès prématurés, à 50 ans en moyenne

« Étant donné la difficulté de rassembler toutes les données, ce travail est forcément approximatif et parcellaire, mais il a le mérite d’exister », précise d’emblée Cécile Rocca, coordinatrice du collectif. En 2019, le CMDR a ainsi comptabilisé 659 morts, des personnes masculines en majorité (89 %). Tous ces décès sont intervenus à des âges jeunes, 50 ans en moyenne, alors que l’espérance de vie est de 79,7 ans pour les hommes en France. Confrontées à l’engorgement des dispositifs d’hébergement, ces personnes ont subi la violence de la vie à la rue. Dans près d’un cas sur cinq, les décès sont consécutifs des causes violentes (agression, suicide, noyade, accident). « Vivre à la rue tue », soulignent les auteurs du rapport.

Près de la moitié des décès (48 %) se sont produits sur la voie publique ou dans des abris de fortune (cabanes, squats, stations de métro…) ; l’autre moitié, dans des lieux de soins (26 %) où la personne a été accueillie en fin de vie, des structures d’hébergement ou de logement (10 %) ou en détention (1 %). Mais dans 14 % des cas, le collectif n’est pas parvenu à retrouver l’endroit précis où la personne a été retrouvée morte. Parmi ces personnes décédées l’an dernier, 51 % sont nées en France, 17 % dans un des pays de l’Union européenne (UE), 18 % hors de l’UE et, dans 15 % des cas, le pays d’origine n’a pas pu être établi. « À travers ces personnes, ce sont les bénévoles ou les travailleurs sociaux qui sont venus vers elles, qui les ont accompagnées, qui sont aussi touchés », confie Cécile Rocca.

L’impact de la crise sanitaire sur les expulsions encore mal évalué

Les auteurs du rapport consacrent un chapitre à la question des expulsions et aux premières conséquences de la crise sanitaire, qu’il est encore difficile d’analyser, à cause du manque de recul dont ils disposent. Le confinement mis en place du 17 mars au 11 mai 2020 et la prolongation de la trêve hivernale jusqu’au 10 juillet ont limité le nombre d’expulsions sur la majorité des territoires. À l’exception de Calais et de Grande-Synthe, dans les Hauts-de-France, où des milliers d’exilés, souvent livrés à eux-mêmes, voire pourchassés par la police, continuent de survivre comme ils peuvent.

Dans un autre rapport annuel, publié le 10 novembre, l’Observatoire des expulsions collectives de lieux de vie informels (bidonvilles, squats, tentes) recense 1 079 expulsions entre le 1er novembre 2019 et le 31 octobre 2020. « Ce sont, en moyenne, 448 hommes, femmes et enfants qui sont expulsés chaque jour, et de manière répétée pour certains d’entre eux », affirme ce rapport complémentaire. Pour 84 % des expulsions, la majorité des personnes n’a reçu aucune proposition de relogement ni même de mise à l’abri, entraînant un retour à la rue. « Ces retours à l’errance en temps de pandémie viennent accroître le risque sanitaire », commente Cécile Rocca.

La période de confinement n’a pas non plus été simple pour les habitants de lieux de vie informels, les conditions d’existence dans ces derniers ne permettant pas un confinement digne. « Les personnes ne bénéficiaient généralement pas d’un accès à l’eau ou à l’électricité, d’installations sanitaires viables, et ne disposaient pas de filets de sécurité financiers pour se nourrir : épargne insuffisante et/ou ressources instables, emplois informels ou d’intérim qui n’ouvrent pas à l’accès au dispositif de chômage partiel », explique le rapport du Collectif les morts de la rue.

Pour les personnes vivant en bidonvilles et en squats, dans certains territoires, cette période a néanmoins permis des avancées en matière d’accès à l’eau et aux sanitaires grâce à une mobilisation des associations et une plus forte implication des acteurs institutionnels publics. « Mais beaucoup de sans-abri se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, dispersés dans la nature, constate Cécile Rocca. Dans ces conditions, les chiffres de mortalité risquent d’être plus compliqués à recueillir l’an prochain. »

Le dernier recensement national des SDF date de 2012

Au vu de ces situations terribles, le CMDR formule cinq recommandations à l’adresse des pouvoirs publics. Tout d’abord, le collectif juge indispensable d’améliorer la connaissance relative aux personnes sans domicile fixe. « La dernière étude de l’Insee a été réalisée en 2012 », déplore Cécile Rocca. À l’époque 143 000 SDF avaient été recensés. Depuis, plus rien, si ce n’est des recensements organisés à l’initiative de plusieurs villes sur leurs territoires (Paris, Metz, Grenoble…), mais il s’agit de données éparses ne permettant pas une analyse globale. « Les derniers chiffres concernant le nombre de femmes à la rue remontent eux aussi à 2012 », poursuit la coordinatrice du collectif qui, à l’instar de la Fondation Abbé Pierre, souhaiterait que l’Insee se penche à nouveau sur la question.

Les autres recommandations concernent la prise en charge des personnes sans abri. Le Collectif les morts de la rue insiste sur la nécessaire continuité en matière de logement et d’accompagnement médico-social. Or, la plupart des sans-domicile ne sont hébergés que la nuit. Chaque jour, avec l’aide du 115 (Samu social), toujours saturé, il leur faut retrouver un toit pour le soir qui arrive. Ce parcours fait de ruptures permanentes ne fait que les fragiliser un peu plus. « Il contribue à leur épuisement et renforce leur désinsertion », pointe le rapport qui réitère d’autres recommandations formulées les années précédentes, mais restées sans effet : améliorer l’accès aux dispositifs de droit commun, prendre en compte les besoins spécifiques des femmes et renforcer le programme de Logement pour tous. « L’importance du temps passé dans la rue a un impact sur la santé physique et mentale des personnes sans chez soi, résume Cécile Rocca. Plus le temps passé à la rue augmente, plus la réinsertion devient difficile. »